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Textes
Poésie, Prose, extraits

Lettres (extrait)

Toi qui me connais si bien, penses-tu que je doive encore croire en moi après toutes ces années ? Dans ma garrigue étiolée, ma main ne tremble pourtant plus et mon regard se veut sûr, néanmoins je crains d’avoir encore à parasiter quelque endroit pour prétendre être bien, et surtout à ma place. Mes sourires se taillent au couteau, et j’ai le cœur crevé à force de m’élancer sur leurs piques, et j’avoue ne plus savoir distinguer le rire du cri. Enfin, je t’accorde avoir toujours été porté sur le psychodrame, par goût d’abord, par habitude ensuite. Je dois t’avouer que cette tendance commence à me peser. En y repensant je me dis que j’ai élevé un monstre malgré moi. Comme si la créature pouponne et attachante des débuts était devenu un alligator difforme et vorace, incontrôlable surtout, qui s’amuse à me terrifier aux moments les moins opportuns, me laissant entrevoir dans l’abîme de sa gueule les terribles et inévitables souffrances à venir, la déliquescence des convictions et la mort pathétique qui s’ensuit. Bienheureusement je n’ai pas peur de mourir, c’est peut-être bien la seule chose qui me fasse me tenir droit, avec l’affection, évidemment, que je vous porte à tous – mais même dans ces moments-là, que j’aurais souhaité inviolés, ce tapis quelque part dans l’ombre le spectre d’un drame paranoïaque dont je n’arrive à me défaire et qui ronge mon quotidien.

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Albert C.

​

*

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Ce matin, du coin de l’œil, j’ai surpris le temps qui se rembobinait discrètement. Allongé dans mon lit, je n’ai pas osé bouger. La chemise que j’avais négligemment lancée dans un coin de la pièce se mouvait lentement, reprenant son poste favori sur son cintre, se défroissant comme par magie avec un éclat que je ne lui avais plus connu. La poussière de mes armoires s’amoncelait en petite mottes polies qui s’en allaient par la fenêtre que j’avais laissée ouverte, et je t’assure avoir vu une mouche voler à rebours et retourner à son œuf. L’air vicié par mon sommeil se purifiait à mesure que mes organes me ramenaient à des sensations que j’aurais voulues éternelles – et cette lumière si tendre qui caressait ma peau devenue imberbe, et mon corps s’emplissant d’une vigueur sans pareil ! C’est quand j’ai senti que les mots commençaient à me manquer, que mon esprit ignorant à nouveau s’emballait de toute cette pureté, que j’ai compris que j’allais mourir. Alors je me suis jeté hors du lit comme pour surprendre la créature qui se jouait de moi, et c’est là que tout est retombé brusquement, reprenant sa place dans l’espace ramolli que je me suis créé. La mouche est venue me harceler un peu et mon dos s’est rappelé à moi. Alors j’ai enfilé un pull et puis devant le miroir, j’ai pleuré le peu d’eau qu’il me restait de ma nuit brûlante. J’ai pensé à toi, pour une raison que j’ignore, et ce malgré notre affection qui s’est brutalement évanouie, et j’ai jugé bon de t’écrire ce mot qui j’espère saura te prouver à quel point je regrette le temps que j’ai gâché en étant loin de toi.

 

 

Will L.

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Affreurismes

S’aménager un espace, aussi près que loin

À égale distance de ce qui trouble et rassure

 

*

 

La mort, notre monument.

 

*

 

Quelle épitaphe écrire

Quand les mots s’enfuient

Sous le glissement

 

*

 

Que le Faire dépérisse dans le néant !

– Pensées molles

Ici, les jours filent à l’allure des morts

La conscience est leur tombeau !

 

*

 

Devenu sourd, muet, aveugle

Le toucher flétri

– S’ouvrir au ciel

 

*

 

Ah sorcières ! Volant d’un cadavre à l’autre.

 

*

 

Pierre vive, au contact de l’eau, créée l’Arc-en-Ciel.

 

*

 

Ressurgir du siècle en Empereur ! Penser l’horizon sans être dépassé – et aussi loin qu’on s’en souvienne. Du geste au regard, d’un même arc – vivre par son Sang !

 

*

 

Espace déchiré de libellules, rouges comme le feu

Débordant de batraciens mauves

Gisant d’obscurs crustacés aux pinces serties de bleu

Aiguës comme la pique de l’archange !

Et la Vie, qu’en faire, sinon la noyer dans l’eau tiède du lac ?

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À jamais exotique

Je ne sais pas encore ce qui survivra de tout ceci. J’aime à croire que les attitudes les plus simple, jusqu’ici les plus ennuyantes et les moins excitantes, deviendront par je ne sais quelle transfiguration divine, les plus porteuses. Que finalement, au-delà de l’infernale machinerie qui s’est mise en place au cours des décennies, de l’évolution et du progrès, des mœurs tentaculaires et de l’appréciation sociale de chacun, survive comme au fond d’une petite boîte qui ne demande qu’à être ouverte, un cristal pur et irradiant comme un soleil.

La question est de savoir si nous allons de l’avant par mépris de nous-même ou parce qu’il y a sur le chemin une promesse en accord avec nos stimulations profondes, ou si tout simplement nous y allons parce que la planète tourne, le temps passe et qu’on se tire les uns les autres par la main, pour se forcer à regarder et à souffrir en meute.

Au fond ça n’est peut-être pas nous que nous détestons, mais tout ce qui ne l’est pas – ainsi la répulsion envers les insectes, l’ennui à la campagne et le silence, qui n’appellent qu’à être écrabouillés, parasités, comblés et encadrés. Il est curieux comme le monde en dehors de notre espace et de notre temps reste à jamais exotique, inintégrable et le plus souvent erroné. Comme il est désormais devenu habituel de ridiculiser ou de plastifier le sacré, l’intellectuel, la beauté, le savoir-faire et les erreurs de chacun. Le goût pour le passé devient un plaisir coupable, un breuvage qui ne se boit plus, qui ne se fabrique plus, et duquel on a fini par oublier la recette. Le présent, une constante fuite en avant, qui à défaut de donner des réponses, tiens suffisamment en haleine pour qu’on puisse en espérer une fin heureuse.

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Un Monde Lisse

Un monde lisse. Les chaussées sont des trottoirs et inversement. Idem pour les plaines et les montagnes. La goutte d’eau qui gicle dans l’écho de sa grotte enténébrée égale en tout point la symphonie la plus sophistiquée qui égale la plus vulgaire des stations de radio. Aussi, dire oui ou non, donne plus ou moins le même résultat. Une fresque pleine de détails et de fabuleuses couleurs vaut bien une dalle de béton, et qu’il pleuve ou qu’il vente, finalement, l’effet est le même. Aimer ou ne pas aimer, aucune différence ! Savoir ou ne pas savoir, ça n’est pas dans le vocabulaire, puisque l’ignorance est un concept grossier qu’emploient volontiers les pédants en parlant du reste du monde : dans le monde lisse, tout se vaut et tout existe avec la même intensité, mais uniquement à condition que ça ne fasse rien bouger à moins de trente kilomètres de chez soi, et surtout pas en soi.

Le citoyen du monde lisse ne comprend pas pourquoi il devrait s’adonner au Bien, ni pour quels motifs il y a besoin d’être aimable avec les autres. Il ne saisit pas non plus les raisons pour lesquelles il lui faudrait s’instruire, ni même s’intéresser à quoi que ce soit d’autre qui le dépasse. Il est très bien comme il est et n’admettra jamais ses lacunes, ni ses fautes – puisqu’il est comme ça et pas autrement.

Le citoyen du monde lisse est un relativiste chevronné : du moment que ça ne le concerne pas directement et que ça ne l’empêche pas de boire religieusement son café du matin, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. D’ailleurs, il ne prend que très rarement position, et s’il le fait, ce sera pour dissimuler sa gêne en essayant d’humilier – ou pire, s’enorgueillir ouvertement de ne pas savoir. Aussi, le citoyen du monde lisse aura d’énormes difficultés à remettre les choses qu’il aime en question, et par conséquent, à se remettre lui-même en question. Il est incapable de jauger de la profondeur des actions, du discours et des sentiments puisque, comme dit plus haut, tout a son droit d’existence au même titre d’importance et d’espace.

Bien sur, le citoyen du monde lisse se proclame humaniste, mais il est un humaniste moderne : autodidacte, individualiste et narcissique. Aussi, le citoyen du monde lisse a en sainte horreur les pessimistes, les mécontents, les analystes, les critiques et toute forme de discours qui sous-entend ne serait-ce qu’à demi l’étendue dramatique des problèmes de son monde lisse. Le citoyen du monde lisse n’a pas d’autre ennemi que tous ceux précédemment cités – ainsi, les politiques, la publicité, les entreprises, les superstars, les employeurs, et les grosses boîtes en tout genre sont tous invariablement amicaux, décents, francs et honnêtes, et leurs méthodes absolument acceptables. En revanche, le citoyen du monde lisse s’effarouche facilement d’un animal mort ou blessé, mais reste indifférent à la violence sur autrui. Sur un autre plan, le citoyen du monde lisse s’intéresse à la spiritualité mais n’accorde aucune importance au concept du sacré, et mettra volontiers son corps et sa superficialité en avant, laissant couler son cerveau et son contenu dans la ligne de perspective.

Du plat de son monde tout plat, il ne voudra pas même admettre, alors que son horizon est infini et panoramique, que le monde plat est bien plat. Dans le même temps, il s’affairera à raboter tout ce qui donnera du relief à son monde plat et sans danger, quitte à tout bafouer et ridiculiser.

Tout ce qui n’est pas lisse est négatif, verbeux, inutile et prétentieux.

Tout ce qui n’inspire pas une félicité béate et facile est pessimisme.

Toute analyse et toute démonstration est pinaillage insupportable.

L’expérience ne sert et ne démontre rien de pertinent.

Le monde est cyclique et inflexible, en conséquence il convient de ne rien en dire ni en faire qui contredise ce cycle, et surtout, qui ne gâche la journée du tout venant.

Ainsi, absolument tout est toujours relatif et interchangeable, mais le miroir doit systématiquement féliciter notre beauté.

Celui qui ne pense pas que tout est relatif est un nihiliste.

Tout ce qui n’est pas un citoyen du monde lisse est une créature binaire, bornée par des principes et des idées rétrogrades ou utopiques, et n’est en conséquence qu’un ennemi au bien-être et au progrès commun et immédiat.

L’habitant du monde lisse est un superstitieux non avoué, et tout ce qui va à son encontre un danger fatiguant et à éviter.

Urbanisme

Ça ne fait pas rêver.

La petite bourgeoisie tout sourire, croulant sous les sacs de shopping en papier recyclable – chaussures mi-luxe, coco Chanel et sushi-box, chapeau bohème inclusif et attitude de catin inaccessible dès qu’une photo se prépare.

Moins encore sa version prolo, enthousiaste à tout rompre, morte de rire paille en bouche, téléphone en main – les paris sportifs et la malbouffe prennent l’accent de ta banlieue pour au choix : crever d’un arrêt cardiaque/une chiasse sans fin ou larbiner à l’infini qu’il pleuve qu’il vente ou qu’il fête, sur ton vélo non fourni, l’air d’une tortue-frigo-taxi à jamais sous-payée.

À côté de ça, tout à l’air d’aller si à merveille qu’on a le tutoiement compréhensif en entreprise, que les spots te parlent en bons conseils, l’air de dire « moi aussi j’aime ma famille mec, et comme toi, pour elle je veux le meilleur… » etc. etc – ce qu’on comprend, surtout, c’est qu’on va raquer pour une merde en plastique, un service médiocre entre gens blasés, une enfilade comme pas deux parce quelqu’un, quelque part, à un jour compris que le pélo moyen était naïf et prêt à tout gober, tant qu’on lui donnait l’air de ne pas l’être. Cet air justement indéfinissable et dans le temps, blasé mais pas trop, adulte mais pas trop, glamour mais pas trop, sérieux mais pas trop, raisonnable mais pas trop, et surtout et toujours mais pas trop, parce qu’on voudrait pas avoir l’air de. Il faut être fluide, optimiste et croquer la vie comme elle vient – indécis, naïf et boulimique. Mon ami, n’es-tu pas fatigué de ces rabat-joie qui voient le mal partout ? Concentre-toi plutôt sur autre chose, tu as le feu en toi. Regarde, de ta ville jadis décédée d’ennui jaillissent désormais les opportunités de s’amuser ! Kebab, tacos, sushi, pizza, hot-dog, burger, tapas, bière et vin, bavette-frite-salade, saumon-frite-salade, le monde servi avec des frites et de la salade ! N’es-tu pas satisfait ? Ne vois-tu pas que ce paysage est fait pour parfaitement accompagner en arrière-plan tes souvenirs photographiques, qui à jamais perdu dans la mer grasse des mémoires futiles, serviront un jour à nous rappeler ô combien nous avons sacrifiés notre intensité à la vaste machinerie commerciale et fétichiste qui domine notre race ? Sois donc heureux d’appartenir à la caste des bâtards qui ne s’empiffrent que de pré-mâché, de déjà-vu et de prévisible. Il n’y a plus que comme ça que l’on peut espérer ne jamais souffrir : c’est-à-dire, à jamais tenus par la main.

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